Twenty-one
Tu traces ta propre route. Depuis toujours, tu chemines à ton gré, sans te préoccuper des obstacles ni des distances.
A ton premier jour, déjà, à peine posé peau contre peau, tu as rampé, instinctivement mais avec une volonté farouche, pour trouver le sein nourricier. Tu as souvent eu une longueur d'avance. Tes premiers mots, la richesse de ton vocabulaire, ont stupéfié ton entourage. Tu voulais un tractopelle pour ton premier anniversaire (tu as eu un gros camion). Tu as marché tôt et couru aussitôt. Il serait facile, mais très long, d'égréner tout ce que tu as fait bien avant les autres.
Te voilà majeur dans tous les pays du Monde, Théo. Vingt et un ans. Tu n'as pas attendu de les avoir pour être adulte. Mais voilà, aujourd'hui tu as 21 ans. Et pour la première fois depuis ton tout premier anniversaire, celui qu'on a fêté dans ce qui parait presque une autre vie, en 1996, tu vas fêter celui-ci à la fin d'une journée de travail.
Tu vas rentrer ce soir, harassé mais heureux. Tous les soirs je te vois rentrer à la maison, avec cet incroyable sourire qui est le tien. Je t'entends partir le matin, doucement, sans bruit. Il est tôt. Ton rituel est immuable. Tu descends sans réveiller tes petits frères, tu libères les chiennes. Tu bois ton café au bout de la grande table de la cuisine (je retrouverai la tasse et la cuillère dans l'évier, soigneusement rincées), tu ramasses le sac de ton déjeuner et t'en vas. Tu pars faire ton métier, celui que tu as préparé pendant cinq ans et deux diplômes. Tu pars faire ton métier et tu le fais bien. ce métier qui s'est imposé comme une évidence et dont tu as su prouver qu'il était fait pour toi.
Tu pars faire ton métier et je sais que tu le fais bien. Je repense à ce moment où il a fallu faire le choix d'une orientation, à la sortie du collège. Tu savais ce que tu ne voulais pas faire et ce que tu aimais. Le paysage s'est imposé comme une évidence. Tu as su montrer au fil des années que c'était bien là ta place.
Demain, bientôt, dans quelques mois, une année ou deux tout au plus, tu partiras. Celle que tu aimes aura à son tour terminé ses études. Toi, tu auras posé les premières bases d'une vie sous ton propre toit. Ta tasse et ta cuillère dans l'évier me manqueront un peu. Ton sourire du soir, beaucoup. Tu manqueras, énormément, au quotidien de ta fratrie. Mais ainsi va la vie et les oiseaux quittent le nid pour construire le leur.